Les livres scolaires sont imprimés
en dehors de la France !

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Jacques Krabal
Député de l’Aisne
Président du Groupe « Papier et imprimés»
Membre de la Commission du Développement durable
et de l’Aménagement du territoire

Jacques Krabal

Vous êtes Président du Groupe « Papier et imprimés » à l’Assemblée Nationale et vous venez de clôturer le dernier colloque Culture Papier qui s’est tenu à Marseille. Quelle est la situation économique de la filière ?

La filière perd des parts de marché. Le nombre d’entreprises qui ferment est important. C’est un secteur qui prend la crise de manière très frontal, car il est confronté d’une part à la crise économique et d’autre part, aux changements liés à la dématérialisation du papier. C’est vrai pour les journaux et magazines, beaucoup moins pour le livre qui ne subit pas vraiment encore la concurrence des écrans.

J’ai auditionné l’AFDPE, les distributeurs de papier, et le constat est sans appel, rien qu’entre 2011 et 2012, le volume de papier vendu est en baisse de 6%. La tendance est la même depuis plusieurs années et ne ralentit malheureusement pas.

Il y a plusieurs décisions à prendre au niveau de la fiscalité et du soutien que l’Etat peut apporter. Toutes sont détaillées dans le Livre Blanc que nous réalisons et qui sortira au printemps, normalement pendant le Salon du Livre, qui interpellera le Premier Ministre et l’ensemble de la classe politique. Ce Livre Blanc est le résultat de toute une série d’auditions et d’entretiens avec les acteurs de la filière, de déplacements que nous avons réalisés sur le terrain, avec mon confrère Serge Bardy et aussi de rencontres avec des personnalités marquantes comme Eric Orsenna, Dominique Wolton ou Alain Bougrain-Dubourg. Beaucoup de choses peuvent être améliorées. À titre d’exemple, l’Etat ne joue pas le jeu avec les livres scolaires qui sont imprimés en dehors de la France, en Europe parfois ou en Chine !

Il est nécessaire de réhabiliter la culture du papier, il faut dénoncer au grand jour les mensonges d’une soi-disant déforestation et d’une pollution du papier. Le bois consommé en Europe pour devenir du papier est issu de déchets de scieries pour 25% et de coupes d’entretien pour 75%. Et la fabrication n’utilise que 11% de la récolte totale du bois, contre 55% pour le bois énergie et 25% pour la construction. D’autre part, sur le gaz à effet de serre, la filière graphique est l’un des secteurs industriels les plus faiblement émetteurs, avec moins de 1,5% des gaz à effet de serre émis dans le monde. Précisons également que l’industrie papetière européenne a réduit de 40% ses émissions de CO2 par tonne de papier produite par rapport à 1990. Enfin, les progrès dans le recyclage du papier sont réels.

L’industrie papetière représente dans son ensemble 2,5% de l’activité économique mondiale, soit le même poids que l’aéronautique. Elle regroupe des pratiques, des activités, et des acteurs nombreux, puisque la chaîne rassemble les fabricants, les distributeurs, les transformateurs, les imprimeurs, avant de passer par les récupérateurs pour le recyclage. Elle possède une vraie dynamique d’économie circulaire, mais notre pays a encore des progrès à faire concernant la collecte du papier, nous sommes en retard sur des pays voisins comme l’Espagne ou l’Allemagne, car elle combine des défauts majeurs : elle est disparate sur le territoire et incomprise des Français. Elle étouffe les acteurs économiques du papier par une éco-contribution en augmentation structurelle, alors même que les tonnes de papier mises sur le marché baissent. Elle n’assure pas correctement sa fonction, qui est la promotion du recyclage pour faire des vieux papiers une ressource et non de simples déchets sans perspectives.

Pourquoi vous êtes-vous personnellement engagé dans ce combat ?

Je suis culturellement imprégné par cette quête. Je suis issu d’un département, l’Aisne, qui a vu naître, sur son sol, d’immenses écrivains : Jean de La Fontaine à Château-Thierry, mais aussi Alexandre Dumas à quelques encablures, Jean Racine, Paul Claudel… Un panel impressionnant comme vous pouvez le voir !

De plus, la francophonie est née en 1539, par les Ordonnances de François Ier à Villers Cotterets. Vous comprenez que tout cela nous ramène au Papyrus, au papier. Il est tout à fait légitime que je puisse défendre et promouvoir à la fois le papier et la spécificité culturelle et littéraire de l’Aisne et de la francophonie. Toujours sur mon territoire, l’usine Greenfield à Château-Thierry recycle des vieux papiers et nous avions, il y a encore peu de temps, Québecor. Mais de nombreux petits imprimeurs sont restés sur le département.

À propos de la Francophonie justement, n’est-elle pas en perte de vitesse ? Et le rayonnement d’une langue n’est-elle pas liée à son rayonnement économique ?

C’est un peu vrai pour la deuxième partie de votre question mais je ne pense pas qu’elle soit en perte de vitesse, son audience est très importante en dehors de la France. Elle développe des marchés en Asie, notamment en Chine, en Afrique…

Mais je souhaite aussi qu’elle soit vivante à l’intérieur de la France. Ce n’est pas un combat rabougri mais une ouverture sur l’ensemble du monde, pour qu’une langue seule – l’anglais – ne domine pas les autres.

Les librairies souffrent aussi. On a récemment appris la liquidation du réseau Chapitres.com. Comment apporter une aide efficace à ces relais essentiels du livre ?

Les libraires pâtissent de la désaffection des centres villes, comme d’autres petits commerces. Le « Plan Livres » de la Ministre Aurélie Filippetti s’inscrit dans le bon sens ; Il est urgent d’avoir une fiscalité spécifique pour les centres villes.

Le papier reste le support privilégié de tous les savoirs. Le livre est le lieu de la vérité révélée et le papier, matière du livre, participe à cette révélation.

La lecture sur papier possède un aspect cognitif plus fort. Mais il ne faut pas pour autant occulter le numérique. Car, à contrario, la lecture sur écran peut venir en aide à des enfants en difficultés.Pour sortir des complications, les libraires et les éditeurs français doivent aller vers le qualitatif, vers le beau. Je citerai Eric Orsenna : « Que serions-nous les uns les autres sans le livre » et j’invite tout un chacun à lire son dernier essai, passionnant :  « Sur la route du papier ».

La création culturelle doit et peut être encouragée par l’incitation à la lecture et par la lutte contre l’illettrisme qui a été grande cause nationale en 2013. Je finirai par cette phrase de Paul Claudel : « Quel papier ? Où l’avez-vous trouvé ? Cette espèce de feutre nacré, où l’on voit par transparence des algues, des cheveux de femmes, des nefs de poissons, des cultures d’étoiles et de bacilles, la vapeur et tout un monde en formation ; et sur le papier ces visions nostalgiques de la vieille Chine qui réveillent en moi quinze années ou quinze mille siècles de souvenirs… »

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