Les Bibliothèques sont avant tout
des lieux de de vivre et de livres !

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Erik Orsenna
de l’Académie française

Quelle est la situation actuelle des bibliothèques en France ?

Durant trois mois, nous avons visité les bibliothèques et médiathèques, des grandes comme des petites, qui participent activement aux valeurs de la République et à la transmission des savoirs et rencontré ceux qui y travaillent. Elles représentent le réseau culturel le plus dense de France après les cinémas et le deuxième endensité de croissance sur le territoire, après… les bureaux de poste.
On recense 16.500 « points de livres », qui accueillent 27 millions de personnes par an. Cependant, la moitié ne viennent pas pour consulter ou emprunter des livres mais pour des services : apprentissage de la lecture, des langues étrangères, aide au numérique, demande de services sociaux, communication de presse…Ce sont avant tout des lieux de vivre et livres.

Comment s’articule leur fonctionnement ?

Pour faire vivre ces lieux, on retrouve trois catégories de personnes : les 35.000 bibliothécaires qui sont des professionnels. Ils restent le maillon essentiel du dispositif.

A l’autre extrémité, nous avons les bénévoles qui sont en 82 et 85.000 avec des associations formidables. Beaucoup d’endroits ne tiennent que grâce à eux. Entre les deux, vous avez les emplois aidés que l’on peut qualifier d’emplois aidants. Mais ces emplois vont disparaitre. Or, le bon fonctionnement, des médiathèques, et surtout leur extension, ne marche que si l’alliance entre les trois existe.

Il est nécessaire d’avoir une vraie volonté de l’équipe municipale, la participation ainis que l’appropriation des personnels et enfin (ou d’abord!) une volonté des populations. Dès qu’on opère une ouverture, elle est plébiscitée par les habitants et il n’est plus possible de revenir en arrière. Par la suite, se pose la question des moyens financiers, étant entendu que les collectivités locales ont moins d’argent qu’auparavant et que l’État n’a pas joué son rôle. Il n’a pas, en effet, suffisamment investi dans les bibliothèques qui dépendent de lui – je parle des bibliothèques universitaires. L’État n’a pas ou, très peu, accompagné ces ouvertures.

Une fois ce constat établi, que préconisez-vous ?

Notre point de vue avec Noël Corbin est de dire que ce n’est pas à nous de décréter ce qu’il faut faire. Les demandes sont diverses en fonction des besoins. Une association a été créée, ‘Le bureau des temps’, qui demande et synthétise les besoins des populations qui peuvent varier selon les lieux. Certains peuvent préférer une ouverture le dimanche après-midi, d’autres le soir…

Noël et moi-même sommes très conscients du rôle de l’État, mais nous ne sommes pas jacobins.

En complément, j’ajouterai deux remarques : le rôle très important des bibliothèques départementales dans leur fonction de centralisation, de mutualisation mais aussi de tissage des territoires ainsi que la nécessité d’avancer sur le numérique. Les éditeurs sont attentifs à ces avancées.

À ce jour, nous dénombrons 250 projets d’ouvertures, qui ont été recensés selon des modalités diverses et à des dates diverses. Ces projets ont été travaillés en collaboration avec les DRAC. Maintenant il s’agit d’étudier le financement. Nous avons réussi à ouvrir une ligne de 8 millions d’euros qui abonderaient les projets des collectivités, mais c’est très peu et nous n’avons pas la certitude de son renouvellement d’année en année.

Enfin, à ce sujet, nous avons aussi été auditionné par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

C’est un enjeu de société ?

On pourrait le résumer ainsi : « Dis-moi qui lit, où il lit et ce qu’il lit, je te dirais de quelle société il s’agit et quel futur elle se prépare… »

Je rappelle que l’illettrisme touche 7% de la population, soit 2,5 millions de personnes.

Notre conviction est qu’il n’y a pas de frontière entre le culturel et le social. Nous avons deux phases qui définissent notre crédo : ils l’ont fait, pourquoi pas nous ? Et la lecture ce n’est pas pour moi. Il faut en effet les faire venir dans ces lieux, pour leur faire découvrir la lecture.

Vous militez également pour l’établissement d’un label. Comment l’imaginez-vous ?

Le principe n’a pas été retenu pour le moment mais nous allons persévérer ! Il serait sur le même principe que pour les villages fleuris. L’intérêt pour le livre n’est pas proportionnel à la taille des municipalités, cela dépend de équipes municipales. Et la France est très en retard par rapport aux autres pays européens.

Mais nous avons découvert des exemples remarquables et si je ne devrais en citer qu’un seul, je mentionnerai la Chartre de lecture publique lancée par l’agglomération de la ville de Toulouse et avec elle, 37 municipalités avoisinantes. Elles ont mis en commun leurs moyens en mutualisant les livres et les services.

C’est un vrai challenge qui s’ouvre devant nous, sans parler des nouveaux métiers qui vont s’ajouter aux plus anciens, pour la conservation et la codification, auxquelles s’ajoutent les métiers d’accueil.

Un travail sur les formations reste également à entreprendre…

Propos recueillis par
Patricia de Figueiredo

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